Lettre au gouverneur 07.03.2013
Madame le Gouverneur !
Natalia Vladimirovna !
Au début de l’hiver (avant le nouvel an) nous avons rencontré, au pâturage de nos rennes où l’été dernier la forêt a brûlé, un garde forestier de Kogalym avec son assistant. Ils nous ont informés qu’à partir de l’été 2013, une brigade de bûcherons allait couper le bois qui avait brûlé et que des machines lourdes allaient emporter le bois.
À nos objections – à savoir
que c’est là un pâturage pour les rennes,
qu’aussitôt après avoir mis bas, c’est là que les femelles vont avec leurs petits,
que cette aire est une zone de tranquillité pour les rennes,
qu’à la période des insectes, les rennes montent de la tourbière et se réfugient dans forêt brûlée, parce qu’il y a moins de moustiques,
que dès qu’apparaissent les champignons, les mamans qui nourrissent leurs veaux y vont se rassasier,
qu’au moment du rut, les rennes viendront ici par habitude, pour se reproduire;
ils m’ont répondu :
que la forêt appartient au district forestier,
que la terre sur laquelle elle se trouve appartient au Fond forestier,
que les autochtones et leurs rennes ne sont pas pour eux un obstacle,
et que la forêt sera de toute manière vendue « sur pied ».
Madame le Gouverneur !
Nous vous demandons de nous aider à arrêter le travail des bûcherons sur le pâturage.
L’année dernière il y a eu beaucoup d’incendies en dehors des pâturages des rennes. C’est pourquoi :
qu’ils aillent travailler sur d’autres terrains !
qu’ils laissent en paix la Maison des rennes, leur Patrie !
qu’ils permettent aux arbres de mourir dans leur patrie, pour devenir engrais pour les générations d’arbres à venir !
que les scolytes qui s’installent sous l’écorce des arbres morts, puissent nourrir les petits oiseaux – piverts, geais, cassenoix !
De plus,
du fait de la proximité du gisement pétrolier, notre famille voit disparaître sans laisser de traces entre cinq et sept rennes par an. Nous craignons que l’année prochaine, si les coupes ont réellement lieu, les pertes seront bien supérieures.
De plus,
dans nos contrées, les rennes, s’ils sont dérangés, partent en général dans la direction contraire à celle du vent. Or chez nous les vents soufflent la plupart du temps du Sud, du Sud-Ouest. C’est pourquoi, si les coupes ont réellement lieu, effrayées par le vacarme des transports et des transporteurs, des tronçonneuses et – que dieu nous en garde ! – des aboiements des chiens, les femelles emporteront leurs petits et à leur suite tout le troupeau de l’autre côté du Vatyogan, qui est une frontière naturelle entre familles. Or sur l’autre berge vivent quatre familles avec quatre troupeaux. Ainsi nos rennes emporteront des animaux qui ne nous appartiennent pas, ils détruiront les enclos, l’instinct grégaire annihilera des années de travail de plusieurs familles, les rêves de beaucoup de personnes et suscitera des querelles au sein des familles.
De plus,
le bois ici n’est pas de qualité : les arbres sont fins, bas et les quelques troncs les plus épais sont tordus et noueux et au-delà de cinq mètres ne peuvent même pas servir de bois de chauffage.
De plus,
si, malgré tout, les coupes ont lieu, notre famille devra encore plus activement suivre les rennes, il faudra contrôler les bûcherons pour qu’ils ne viennent pas travailler avec des chiens, des armes, pour qu’ils ne provoquent pas dans la chaleur de l’été de nouveaux incendies, pour que les chauffeurs des camions ne laissent pas les portails des enclos ouverts en pénétrant sur le pâturage, de peur que nos rennes partent vers le gisement en activité.
Et dans ce cas,
quand pourrons-nous rétablir le campement qui a brûlé dans l’incendie de l’an dernier, Madame le Gouverneur ?
Au nom de ma famille, je vous demande votre assistance !
Le 7 mars 2013
Iouri Vella (Iouri Kylevitch Aïvaseda),
Тел. 89044838525,
Adresse : Ul. Centralnaïa, d. 1, s. Variogane, raïon de Nizhnevartovsk, Khanty-Mansiiskiy A.O.-Ougrie
Terrain clanique № 43.